Dix ans après la crise financière, l'économie mondiale et les marchés financiers pourraient entrer dans une nouvelle ère de profonds changements, qui annoncent une prochaine décennie radicalement différente de la précédente. Les investisseurs qui entrevoient un avenir semblable à la période d'après-crise pourraient connaître d'amères désillusions. Loin de cette vision, nous voulons être prêts à relever les défis qui nous attendent et à passer à l'offensive lorsque la réalité se fera jour.
Depuis la crise, l'environnement mondial s'est caractérisé par une répression financière (au travers de la réglementation et des mesures extraordinaires des banques centrales), des politiques budgétaires pour la plupart passives ou restrictives, une faible croissance de la productivité et des salaires réels, une inflation modérée, des échanges et des flux de capitaux globalement non restreints et une volatilité limitée tant au plan macroéconomique que sur les marchés. Dans le même temps, les niveaux d'endettement globaux ont continué d'augmenter.
À l'horizon séculaire, le paysage macroéconomique devrait selon nous connaître de profonds changements, pour le meilleur ou pour le pire. D'importantes mutations sont déjà en cours : Le dosage entre politique monétaire et politique budgétaire évolue dès lors que les banques centrales retirent leurs mesures de soutien et que les politiques budgétaires se font plus expansionnistes, que le débat réglementaire se déplace de la finance vers le secteur technologique et que le nationalisme et le protectionnisme économiques gagnent du terrain.
Une hausse significative de la croissance de la productivité, à l'heure où l'augmentation des investissements des entreprises favorise enfin une accélération du déploiement des nouvelles technologies, pourrait permettre à l'économie réelle de connaître un regain de vigueur durable après le coup d'arrêt subi suite à la crise financière. Toutefois, un potentiel de croissance accru pourrait également entraîner une hausse des taux d'intérêt réels.
Un autre scénario possible lors de (ou après) la prochaine récession, qui surviendra selon nous au cours des trois à cinq prochaines années, consiste en une réaction populiste plus extrême que celle observée jusqu'à présent. Cela pourrait notamment se traduire par une redistribution radicale des revenus et des richesses, un protectionnisme plus agressif, la nationalisation d'entreprises de premier plan, voire de secteurs entiers, ou une remise en question de l'indépendance des banques centrales.
Un forum pour les prévisions à long terme
Au début du mois de mai, nous avons tenu le Forum séculaire annuel de PIMCO, lors duquel nous nous sommes attachés, comme toujours, à identifier les principaux facteurs économiques et politiques qui détermineront l'évolution de l'économie mondiale et des marchés financiers au cours des trois à cinq prochaines années.
Afin de ne pas céder à la pensée de groupe et d'élargir notre point de vue, nous avons accueilli six éminents orateurs, écouté les idées exposées par notre dernière promotion MBA et PhD et lancé un débat animé avec notre Conseil consultatif mondial et nos professionnels de l'investissement du monde entier. À noter l'absence de Richard Clarida, notre conseiller stratégique international, qui a présidé au bon déroulement de notre Forum séculaire lors des cinq dernières années et a également préparé l'ordre du jour de cette édition ; M. Clarida a récemment été nommé vice-président du Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale américaine.
En guise d'entrée en matière, nous sommes brièvement revenus sur les conclusions de notre Forum séculaire de mai 2017. Nous avions formulé l'hypothèse que l'économie mondiale connaîtrait sur le long terme cinq changements de cap significatifs au niveau de l'orientation et de l'ampleur des politiques monétaires, budgétaires, commerciales ainsi que sur les plans de la géopolitique et des taux de change. Dans un monde où Stabilité ne rime pas avec sécurité (thème de notre Forum séculaire de 2016), ces cinq grands Changements de cap politiques mettraient les marchés à l'épreuve et pourraient entraîner une réévaluation des risques. Dans les faits, d'importants changements sont déjà intervenus sur l'ensemble des cinq fronts au cours de l'année écoulée depuis le forum de mai 2017 :
- La Fed a commencé à réduire son bilan, la Banque centrale européenne a fait un pas de plus vers l'arrêt de son programme d'achat d'actifs, la Banque du Japon a réduit ses achats d'obligations souveraines tandis que d'autres banques centrales ont relevé leurs taux d'intérêt.
- Les États-Unis se sont lancés dans une vaste politique d'expansion budgétaire sous la forme de baisses d'impôts et d'une hausse des prévisions de dépenses fédérales pour les prochaines années.
- De vives tensions commerciales entre les principales puissances commerciales ont laissé craindre une véritable guerre sur le front des échanges.
- La situation géopolitique au Moyen-Orient et dans la péninsule coréenne a dominé l'actualité.
- Le dollar américain a connu en 2017 une baisse plus forte que prévu.
Plus récemment – et en partie du fait ces changements de cap politiques –, une hausse des taux d'intérêt aux États-Unis, un rebond du dollar américain et un ensemble de facteurs spécifiques à certains pays ont pesé sur les actifs des marchés émergents (ME). Pour autant, l'environnement à long terme devrait rester globalement propice à bon nombre d'investissements sur ces marchés.
En résumé, les thèmes séculaires que nous avions identifiés en 2016 et 2017 ont commencé à se faire jour, mais devraient se poursuivre au cours des prochaines années. D'autre part, les développements économiques, politiques, géopolitiques et financiers survenus sur les marchés l'an dernier ont fourni quantité de sujets de réflexion et soulevé de nouvelles questions importantes en ce qui concerne les perspectives séculaires et super-séculaires.
Notre scénario de base à l'horizon séculaire inclut l'hypothèse d'une récession
Pour commencer, nous avons réexaminé notre hypothèse de base suggérant qu'une récession aux États-Unis lors des trois à cinq prochaines années est probable et que de nombreux autres pays ne seraient pas non plus épargnés. Pour valider ce point de vue, nous avons débattu et reconnu qu'une possible hausse de la croissance de la productivité et un multiplicateur fiscal potentiellement très faible pourraient contenir les pressions inflationnistes. Cela aurait pour effet de faire obstacle à un resserrement marqué de la politique monétaire, ce qui se traduirait par la poursuite d'une expansion modérée au cours des cinq prochaines années. Toutefois, la marge de manœuvre est étroite et de nombreux obstacles devront être surmontés avant qu'un tel scénario positif puisse se concrétiser :
Premièrement, en supposant que de nouveaux stimuli ne soient pas injectés en 2020, la dissipation de l'effet dopant des mesures de relance budgétaire américaines après 2018-2019 pourrait entraîner des symptômes de manque qui pourraient à leur tour exacerber un ralentissement cyclique.
Deuxièmement, ces mesures de relance surviennent alors que le taux de chômage est déjà inférieur à 4 %, ce qui accroît les risques de surchauffe cyclique. En outre, selon les résultats des élections de mi-mandat en novembre 2018 et en amont de l'élection présidentielle de 2020 aux États-Unis, un nouvel assouplissement budgétaire est possible, sous la forme d'un programme d'infrastructures ou de l'adoption permanente des baisses d'impôts, ou les deux. Bien que cette hypothèse ne s'inscrive pas dans notre scénario de base, elle jetterait de l'huile sur le feu si elle venant à se concrétiser.
Troisièmement, une surchauffe induite par la politique budgétaire pourrait contraindre la Fed, qui semble réticente à accepter un dépassement prolongé de son objectif d'inflation de plus de 0,20 point de pourcentage, à relever ses taux directeurs bien au-delà de la zone de neutralité, ce qui, en général, ne s'est pas bien terminé lors des cycles précédents.
Quatrièmement, bien que nous excluions cette hypothèse dans le cadre de notre scénario de base, il est clairement possible que les tensions actuelles entre les États-Unis et une grande partie du reste du monde sur le front des échanges dégénèrent en une véritable guerre commerciale. La confiance des consommateurs et l'esprit animal des entreprises seraient ainsi réduits. Comme l'a fait observer l'un des participants à notre forum, les tensions commerciales actuelles s'apparentent à un match de catch professionnel, c'est-à-dire à un spectacle qui tient plus de l'esbroufe que d'un véritable combat, mais qui comporte néanmoins des risques réels et dont on peut ne pas ressortir indemne.
Une récession moins marquée, mais plus longue et plus risquée
Une enquête que nous avons réalisée auprès d'économistes et de stratégistes « sell-side » en prévision de notre forum révèle que l'hypothèse d'une récession aux États-Unis lors des trois à cinq prochaines années fait désormais consensus – bien que les marchés ne semblent pas tenir compte de ce risque à en juger par les spreads de risque et la volatilité. Ce constat nous a incités lors du forum à nous interroger sur l'ampleur et la durée de la prochaine récession, et quelles réponses politiques pourraient y être apportées. Bien que tout ceci soit hautement spéculatif, nous anticipons une récession moins marquée mais plus longue, plutôt qu'une récession plus forte mais plus courte :
- Moins marquée, car nous n'observons pour l'heure aucun signe de surinvestissement ou de surconsommation des entreprises ou des ménages aux États-Unis et le secteur financier mondial semble plus solide que lors des cycles précédents. Le principal risque à cet égard réside dans le niveau élevé d'endettement des entreprises (hors secteur financier), qui laisse craindre un cycle de défauts de grande ampleur même dans le contexte d'une récession initialement peu marquée.
- Plus longue car des taux d'intérêt relativement bas, le volume démesuré des bilans des banques centrales et, aux États-Unis, le creusement des déficits budgétaires restreignent la marge de manœuvre politique pour faire face à une récession mondiale. En outre, au vu de la tendance généralisée au nationalisme et au protectionnisme économiques, une récession pourrait favoriser une démondialisation des échanges et une guerre des changes, contribuant à exacerber la situation.
- D'autre part, la prochaine récession pourrait comporter plus de risques que les dernières récessions classiques survenues dans l'après-guerre, dans la mesure où les prévisions d'inflation sont très basses dans pratiquement tous les pays à la veille d'un tel scénario. En outre, une récession pourrait mettre au jour les faiblesses structurelles de la zone euro et faire le jeu des partis populistes, qui aspirent à redistribuer les richesses et à mettre en œuvre des politiques confiscatoires.
Un environnement plus difficile se dessine
Si l'évolution du cycle économique lors des prochaines années est importante – s'oriente-t-on vers une surchauffe, une récession, et si oui, de quel type et où ? –, des questions bien plus vastes, susceptibles d'avoir de profondes répercussions, se sont imposées à nous.
Depuis la crise, l'économie mondiale s'est caractérisée par une répression financière (au travers de la réglementation et d'une activité extraordinaire des banques centrales), des politiques budgétaires généralement passives ou restrictives, une faible croissance de la productivité et des salaires réels, une inflation basse, des échanges et des flux de capitaux globalement non restreints et une volatilité limitée. Dans le même temps, les niveaux d'endettement ont continué d'augmenter à l'échelle mondiale.
« À l'horizon séculaire, le paysage macroéconomique devrait selon nous connaître de profonds changements, pour le meilleur ou pour le pire. »
À l'horizon séculaire, le paysage macroéconomique devrait selon nous connaître de profonds changements, pour le meilleur ou pour le pire. Un grand nombre est déjà en cours : Tandis que les politiques budgétaires se font plus expansionnistes, de nombreuses banques centrales ont commencé à retirer les mesures de relance monétaires qu'elles avaient mises en œuvre au lendemain de la crise. Dans le même temps, le débat réglementaire se déplace de la finance vers le secteur technologique et, à la faveur d'une montée des courants populistes de droite, le nationalisme et le protectionnisme économiques gagnent du terrain dans de nombreuses régions.
Parmi les multiples facteurs susceptibles d'entraîner d'importantes mutations sur notre horizon séculaire, nous avons mis l'accent lors de notre forum sur la productivité, la politique budgétaire et la perspective d'une accentuation des tendances nationalistes et populistes actuelles sur le front économique.
Tout d'abord, en ce qui concerne la productivité, certains participants au forum ont avancé l'hypothèse d'un retour à la moyenne après plusieurs années décevantes, du fait en partie de facteurs cycliques, tels que l'apprentissage sur le lieu de travail dans un contexte de quasi-plein-emploi aux États-Unis. D'autres ont vu dans les gains d'efficacité induits par la technologie le gage d'un soutien plus durable à la productivité et à la croissance potentielle de la production, entraînant une hausse des taux d'intérêt réels naturels sur le long terme. Toutefois, comme nous l'avons souligné lors du forum, il est possible que ces gains de productivité surviennent au compte-gouttes et qu'ils ne soient réellement perceptibles qu'à très long terme plutôt que lors des trois à cinq prochaines années. L'intégration de l'intelligence artificielle et du machine learning dans l'économie dans son ensemble n'en est semble-t-il encore qu'à ses débuts. Seule une hausse notable des dépenses d'investissement au cours des prochaines années nous inciterait à nous montrer plus optimistes à l'égard de la productivité sur le long terme.
Deuxièmement, une expansion budgétaire suffisamment importante à l'échelle mondiale pour compenser totalement ou partiellement l'excès d'épargne désirée par rapport aux investissements désirés dans le secteur privé remettrait en cause le statu quo d'inflation faible et de taux d'intérêt bas. Jusqu'ici, les États-Unis sont la seule grande économie à avoir adopté une véritable politique de relance budgétaire, dont les effets commenceront à se faire sentir dans les prochaines années. S'il y a peu de chances que cela suffise à absorber l'excès d'épargne au plan mondial, il est possible que des mesures encore plus expansionnistes soient mises en œuvre avant les élections présidentielles américaines de 2020, et que d'autres pays s'engagent eux aussi dans cette voie.
« Il existe un fort risque de retour de bâton populiste à l'horizon séculaire, notamment en cas de nouvelle récession. »
Troisièmement, et en lien avec ce qui précède, il existe un fort risque de retour de bâton populiste à l'horizon séculaire, notamment en cas de nouvelle récession. Cela pourrait se traduire entre autres par une redistribution des revenus et des richesses produits par la mondialisation et la numérisation au profit des perdants de ces développements, un protectionnisme plus agressif, la nationalisation d'entreprises de premier plan, voire de secteurs entiers, ou une remise en question de l'indépendance des banques centrales. En d'autres termes, des impôts sur la fortune, une fiscalité des revenus plus progressive et un revenu universel de base, éventuellement financé par la planche à billets. Un avènement des partis populistes de gauche aux États-Unis, au Royaume-Uni ou en Europe entraînerait probablement une baisse de la croissance et une hausse de l'inflation. Notons toutefois que des politiques de redistribution sensées pourraient également (bien que ce soit peu probable) avoir un effet porteur pour l'économie si elles généraient des revenus réels et débouchaient sur des formations et des emplois pour ceux qui sont affectés par la numérisation et la mondialisation.
Chine, États-Unis et le piège de Thucydide
Le domaine géopolitique pourrait également être source d'amères désillusions. Avec l'aide de notre Conseil consultatif mondial, nous avons examiné les conséquences géopolitiques d'une montée en puissance de la Chine sous la houlette d'un dirigeant déterminé. Son objectif affiché sur le long terme est d'atteindre le niveau de revenus des pays développés d'ici 2035 et le statut de pays « pleinement développé » d'ici 2049, à l'occasion du centième anniversaire de la République populaire. De nombreux observateurs ont évoqué la possibilité d'un « piège de Thucydide », situation de conflit au cours duquel une puissance émergente (telle qu'Athènes à la fin du Ve siècle av. J.-C., l'Allemagne à la fin du XIXe siècle et la Chine aujourd'hui) défie une puissance dominante (comme Sparte, la Grande-Bretagne et les États-Unis aujourd'hui). Le piège de Thucydide n'est pas inévitable. Cependant, les tensions potentielles liées à l'émergence de la Chine en tant que superpuissance économique et militaire au niveau mondial, tandis que les États-Unis redoublent d'efforts pour préserver leurs acquis dans les domaines du commerce, de la propriété intellectuelle et de la défense, sont source d'incertitude et pourraient également engendrer des accidents sur notre horizon séculaire.
D'un point de vue plus positif, force est de constater qu'un pouvoir chinois uni et solide, qui est parvenu à faire repasser les entreprises publiques sous le contrôle centralisé de l'État et à endiguer les flux de capitaux, pourrait contribuer à ce que la Chine soit moins une source de chocs systémiques pour le reste du monde. En outre, le pouvoir chinois s'inscrit dans une optique à long terme, alors que l'administration Trump est plus axée sur le court terme compte tenu du cycle des élections présidentielles. Ainsi, on semble s'acheminer vers « un compromis commercial plus équitable et plus libre », qui inclurait une meilleure protection des droits de propriété intellectuelle et répondrait ainsi aux aspirations à court terme des États-Unis, tout en permettant à la Chine de poursuivre ses objectifs à plus long terme. Cela dit, la politique américaine demeure très imprévisible, tandis que le président chinois, qui n'a aucun rival sur l'échiquier politique national et détient les pleins pouvoirs, reste à même de faire des erreurs politiques imprévues.
Conséquences en termes d'investissement séculaire
Le Forum séculaire est, depuis de nombreuses années, un élément clé de notre processus d'investissement, qui nous aide à axer notre stratégie sur le long terme, favorise les prises de positions à contre-courant et contribue à la mise en place de garde-fous au niveau des investissements. À l'horizon des trois à cinq prochaines années, il semble selon nous exclu que l'évolution observée après la crise de 2008 se poursuive. Nous nous préparons à un environnement plus difficile et prévoyons de passer à l'offensive lorsque les désillusions attendues se feront jour.
Il est certes possible d'envisager les trois à cinq prochaines années avec optimisme, mais le parcours sera difficile du fait de valorisations élevées et d'une marge de manœuvre étroite face aux nombreux écueils et accidents potentiels. La reprise actuelle a incité les banques centrales à réduire leur soutien et, pour nombre d'entre elles, à resserrer ouvertement leur politique, sous la conduite de la Fed. Or, une attitude moins prévisible et, peut-être, moins favorable au marché de la part des banques centrales pourrait à terme entraîner une hausse de la volatilité. Une augmentation des pressions inflationnistes après des décennies de stagnation des salaires rendrait le défi encore plus difficile.
« Si les actifs financiers ont nettement surperformé l'économie réelle au cours de la dernière décennie, le scénario pourrait bien s'inverser lors de la prochaine. »
Depuis la crise de 2008, les mauvaises nouvelles pour l'économie ont généralement été interprétées comme de bonnes nouvelles pour les actifs financiers, dans la mesure où les responsables politiques se sont montrés prompts à y répondre. Mais il est possible que cette propension à « acheter la baisse » ne perdure pas. Si les actifs financiers ont nettement surperformé l'économie réelle au cours de la dernière décennie, le scénario pourrait bien s'inverser lors de la prochaine.
À l'horizon séculaire, les bonnes et les mauvaises nouvelles pour l'économie pourraient avoir un impact imprévisible sur les marchés. Un bond de la croissance de la productivité entraînerait par exemple des risques haussiers. Cependant, une amélioration de la productivité dans l'économie réelle pourrait se traduire par une hausse des taux réels, ce dont pâtirait de nombreux investisseurs tant en obligations qu'en actions (bien que, comme nous l'avons souvent dit, une hausse des taux, certes potentiellement nuisible à court terme, ne soit pas nécessairement de mauvais augure pour les investisseurs obligataires sur le long terme).
Dans le même temps, notre scénario de base pour les trois à cinq prochaines années inclut l'hypothèse d'une récession aux États-Unis, laquelle aurait selon nous d'importantes répercussions sur l'économie mondiale et les marchés. Les pressions nationalistes et populistes pourraient gagner en importance. Les banques centrales pourraient une nouvelle fois apporter leur secours, mais de nouvelles menaces vis-à-vis de leur indépendance pourraient également apparaître dans un tel environnement, avec les conséquences imprévisibles que cela engendre.
Personne ne possède de boule de cristal en ce qui concerne l'économie, les marchés ou la politique, et les risques liés à la montée des courants populistes sont plus difficiles à quantifier. Mais nous pouvons éviter de placer tous nos œufs dans le même panier, ce qui pourrait être le cas si nous accordons une trop grande probabilité à un scénario optimiste. Et nous pouvons nous attacher à préserver la flexibilité de nos portefeuilles face aux risques tant baissiers qu'haussiers ou aux surprises, ce qui peut impliquer de renoncer à une partie de leur potentiel de rendement en détenant par exemple davantage de placements très liquides à court terme.
Bien que nous prévoyions d'adopter un positionnement prudent, nous nous attacherons comme toujours à répondre aux objectifs de nos clients, notamment en termes de revenus, dans le cadre de nos différentes stratégies. Nous nous efforcerons d'identifier et d'exploiter les meilleures idées tactiques et structurelles et de générer des revenus au travers d'un éventail d'opportunités aussi large que possible sans miser de manière excessive sur les obligations d'entreprises.
Flexibilité
Au vu des valorisations moins intéressantes et de la volatilité accrue sur de nombreux marchés, les stratégies plus larges et plus flexibles devraient selon nous procurer des avantages considérables à l'horizon séculaire, dans la mesure où elles tirent parti des meilleures idées parmi l'ensemble des opportunités existantes à l'échelle mondiale et permettent une diversification entre un large éventail de secteurs souverains et de spread. Compte tenu des politiques à l'œuvre au niveau mondial et des incertitudes sur le plan politique, de solides capacités de recherche à l'échelle internationale seront également importantes pour identifier les opportunités de rendement les plus intéressantes tout en gérant les risques.
À mesure que nous approchons de l'éventuel terme de la phase d'expansion actuelle, il devient plus difficile de distinguer entre les excès cycliques et les changements à long terme de la dynamique sous-jacente de l'environnement macroéconomique et des marchés. Le potentiel d'excès cycliques est important dans la mesure où les données évoluent relativement peu et où les valorisations des marchés laissent peu de place à l'erreur. Ces excès cycliques et les impressions trompeuses au niveau des statistiques pourraient offrir des opportunités d'investissement dans différents secteurs du marché.
Investissement durable
Nous allons continuer de renforcer l'intégration des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans notre processus d'investissement actif, dont ils sont appelés à constituer une composante essentielle. Les critères ESG jouent un rôle clé dans notre évaluation des risques liés aux obligations d'entreprises, aux actifs titrisés et à la dette souveraine. Nous avons lancé des stratégies ESG core à l'échelle mondiale et aux États-Unis et prévoyons de continuer cette expansion. L'ESG est un domaine dans lequel nous continuerons de développer nos capacités d'analyse et d'interagir avec les émetteurs – afin à la fois de répondre aux objectifs de nos clients et de renforcer notre processus d'investissement global.
« Nous continuons de penser que le cadre de Nouvelle Neutralité, caractérisé par des taux directeurs bas enracinant les marchés obligataires mondiaux, restera un guide utile. »
Sensibilité aux taux d'intérêt, volatilité et positionnement sur la courbe
Dans le prolongement de la discussion amorcée lors du Forum cyclique de mars 2018, malgré la hausse des taux d'intérêt, due vraisemblablement pour une large part à la perspective d'un creusement des déficits budgétaires et d'une augmentation de l'offre aux États-Unis, nous continuons de penser que le cadre de Nouvelle Neutralité, caractérisé par des taux directeurs bas enracinant les marchés obligataires mondiaux, restera un guide utile. L'évolution démographique, les niveaux d'endettement élevés actuels, la faible productivité et l'excès d'épargne à l'échelle mondiale font obstacle à une hausse significative des taux d'intérêt réels et nominaux. Dans le même temps, la croissance de la productivité, la politique budgétaire et une accentuation des tendances nationalistes et populistes sur le front économique pourraient engendrer d'importantes perturbations. Par conséquent, nous prévoyons de maintenir la sensibilité aux taux d'intérêt de nos portefeuilles à un niveau proche de celui de leurs indices de référence. Selon nous, les marchés obligataires mondiaux devraient évoluer dans une fourchette relativement étroite tandis que les risques haussiers et baissiers nous semblent globalement équilibrés sur les courbes à terme.
Bien que nous tablions dans le cadre de notre scénario de base sur des rendements mondiaux généralement stables, le marché obligataire affiche une volatilité étonnamment faible compte tenu de l'incertitude accrue entourant les perspectives et de notre hypothèse d'une réduction des mesures des banques centrales visant à contrer la volatilité. En effet, l'activité des banques centrales pourrait s'avérer plus difficile à prévoir d'une manière générale. La Fed est à un stade avancé de son cycle de resserrement tandis que de nombreuses autres banques centrales de premier plan retirent les mesures de relance qu'elles avaient mises en œuvre au lendemain de la crise, au minimum, et que certaines emboîtent le pas à la Fed. Nous tablons sur une hausse de la volatilité et, prévoyons donc de réduire notre position courte sur la volatilité, qui dans le cadre d'un environnement de volatilité normal, jouerait un rôle clé dans la construction de nos portefeuilles. Nous pourrons également acheter de la volatilité dans le cadre d'opportunités ciblées offrant un compromis intéressant entre risque et rendement.
La hausse de la volatilité devrait selon nous s'accompagner d'un rétablissement de primes à terme plus élevées et des spreads de risque, entraînant ainsi une pentification des courbes de rendement. Des pressions inflationnistes accrues, anticipées ou réelles, pourraient également tirer les courbes mondiales vers le haut. Dans la mesure où nous privilégions les positions fondées sur des considérations structurelles visant à exploiter les inefficiences des marchés, nous tenons compte de la forte demande technique en faveur de la partie longue de la courbe générée par l'environnement réglementaire des compagnies d'assurance et des fonds de pension. La partie courte de la courbe offre en règle générale un meilleur rendement ou des revenus plus élevés par unité de sensibilité.
Rendement réel
Les TIPS américains offrent selon nous la possibilité de couvrir nos portefeuilles contre le risque de hausse de l'inflation aux États-Unis à un prix raisonnable. Bien que nous n'anticipions pas de poussée de l'inflation dans le cadre de notre scénario de base, le risque d'une telle évolution est nettement plus marqué qu'il ne l'a été au cours de la dernière décennie, dans la mesure où le marché du travail est proche du plein-emploi dans de nombreux pays. À l'instar des TIPS, les matières premières et d'autres actifs réels offrent également une protection raisonnable contre l'inflation.
Crédit
La reprise séculaire intervenue après la crise touchant à sa fin, nous nous devons d'être beaucoup plus sélectifs à l'égard du crédit. Nous sommes confortés dans notre opinion globalement prudente vis-à-vis de la classe d'actifs par les importants flux de capitaux enregistrés, la hausse de l'endettement des entreprises et le fait que de nombreux gérants d'actifs qui se sont tournés vers le crédit en raison des faibles rendements offerts par des marchés à court terme axés sur la liquidité au cours de la dernière décennie puissent trouver ces investissements à court terme plus séduisants dans les années à venir.
Nous continuerons de chercher à limiter notre exposition aux obligations d'entreprises génériques de qualité investment grade et à haut rendement pour privilégier les meilleures idées bottom-up identifiées par notre équipe mondiale de gérants de portefeuilles et d'analystes crédit. Dans l'ensemble, nous prévoyons de continuer à réduire notre exposition au risque lié à aux obligations d'entreprises en mettant l'accent sur des titres de courte échéance ainsi que sur des positions « qui plient mais ne rompent pas » et présentent un faible risque de défaut. Les investissements liés au secteur immobilier américain qui proposent une séniorité structurelle et une couverture en actifs tangibles restent selon nous attrayants. Plus généralement, les secteurs dans lesquels la réglementation s'est intensifiée, y compris l'immobilier commercial et les secteurs financier et du logement, devraient afficher une bonne tenue dans un contexte de marché plus difficile, tandis que d'autres segments du marché des obligations d'entreprise pourraient être plus volatils que ce que les valorisations actuelles semblent anticiper.
« Face au manque de visibilité quanSt à l'attitude des banques centrales sur le long terme, nous nous attacherons à mettre l'accent sur des investissements offrant de solides profils risque/rendement et qui ne dépendent pas de manière excessive du soutien des banques centrales. »
Investissements dans la zone euro
Face au manque de visibilité quant à l'attitude des banques centrales sur le long terme, nous nous attacherons à mettre l'accent sur des investissements offrant de solides profils risque/rendement et qui ne dépendent pas de manière excessive du soutien des banques centrales. Dans ce contexte, nous prêterons une attention particulière au risque lié aux pays périphériques de la zone euro. Une prudence expliquée par leur dépendance vis-à-vis du soutien de la Banque centrale européenne (BCE), de l'incertitude quant à l'orientation future de la politique de cette dernière et du fait que, selon nous, la prochaine récession dans la zone euro mettra de nouveau au jour les faiblesses sous-jacentes de la dette souveraine périphérique et de la zone euro elle-même, compte tenu du manque de réformes institutionnelles notables intervenues depuis la dernière crise dans la zone euro. L'avènement des partis populistes n'est que le dernier exemple en date du risque populiste qui frappe la zone euro alors que, à en croire les normes applicables à la région, la croissance y est tout à fait correcte ; selon nous, les risques politiques devraient s'accroître en cas de ralentissement durable.
Devises
Nous sommes largement mitigés quant à l'évolution du dollar américain face aux autres devises du G-10, compte tenu des anomalies de valorisation limitées sur les marchés. Ce sentiment reflète également l'incertitude aux États-Unis quant aux effets d'une part, de la pression haussière sur le dollar exercée par les taux et les différentiels de croissance et, d'autre part, de la pression baissière due au double déficit de la balance courante et budgétaire.
Marchés émergents
Nous espérons trouver des opportunités sur les marchés émergents, tous pays et secteurs confondus, grâce à notre équipe de spécialistes. Les risques spécifiques, l'évolution des taux d'intérêt américains, du dollar américain, l'incertitude liée au cycle économique et la hausse éventuelle de la volatilité sur les marchés développés seront des facteurs importants pour sélectionner les investissements au sein des pays émergents. Toutefois, nous estimons qu'au fil du temps, avec l'aide d'un environnement dans lequel la notion de Nouvelle Neutralité perdure, les rendements des marchés développés et les taux directeurs globalement faibles joueront en faveur des actifs émergents.
« Bien que le contexte d'investissement s'annonce difficile, il devrait nous apporter des opportunités attrayantes en tant que gestionnaires actifs. s»
Approche de gestion active
Au vu des valorisations de départ dans l'ensemble des secteurs, nous anticipons une baisse généralisée des rendements nominaux par rapport à la reprise consécutive à la crise de 2008. Bien que le contexte d'investissement s'annonce difficile, il devrait nous apporter des opportunités attrayantes en tant que gestionnaires actifs. Au regard des rendements des marchés à faible bêta, l'alpha découlant de processus d'investissement solides et bien établis, ainsi que d'analyses rigoureuses, sera selon nous une composante encore plus importante du rendement total.
Investissements privés
L'attrait continu des primes de liquidité et de complexité augure de nouvelles opportunités intéressantes pour nombre de nos stratégies d'investissement. C'est encore plus vrai pour les véhicules de placement privés assortis de périodes de lockups adéquates, qui peuvent nous permettre d'engranger des rendements sur le long terme, quelle que soit l'évolution du cycle, et de nous employer à tirer parti des niches créées au sein du système financier par les modifications persistantes de l'environnement réglementaire. Les segments du marché qui ont fait l'objet des changements réglementaires les plus importants au lendemain de la crise devraient selon nous continuer d'offrir quelques-unes des meilleures opportunités à l'horizon des prochaines années. La volatilité et l'incertitude politique accrues pourraient également déboucher sur des opportunités d'investissements privés séduisantes dans l'immobilier et le crédit. Les marchés émergents devraient rester volatils, ce qui laisse entrevoir un potentiel de diversification intéressant.
Dans la plupart des segments, et notamment dans la sphère privée, il nous paraît sage d'investir davantage dans des instruments similaires à des liquidités compte tenu du risque persistant d'excès sur les marchés sur fond de fondamentaux de plus en plus incertains et d'un environnement technique dans lequel d'importantes inversions de flux sont possibles en fonction de l'évolution du sentiment. Nous allons continuer à renforcer avec soin les positions sur le crédit privé que nous avons établies. Elles nous permettent d'obtenir davantage de flexibilité et de sécurité, mais sont également sources de diversification attrayante, complémentaires à nos stratégies obligataires traditionnelles.